Le bruit courait depuis plus de deux ans, sonnant comme une promesse : John ZORN donnait des concerts à partir du Masada Songbook avec un nouveau groupe. Le très bien informé "Zornographe*" parvint même à nous en montrer quelques images et à nous faire entendre quelques notes. Pas de quoi se faire vraiment une idée, mais largement suffisant pour faire frissonner d’impatience les oreilles de l’amateur.
Survint la pandémie, les confinements, les concerts annulés, les déconfinements plus ou moins partiels, le port du masque, les vaccins, etc. Je suis hors-sujet ? Pas tout à fait, vous le découvrirez en lisant l’étrange 'storytelling' de présentation de l’album. Disons juste que ZORN a (re)découvert que la musique n’est pas seulement un formidable terrain d’exploration artistique, mais qu’elle est également un puissant vecteur d’émotions. Et qu’en ces temps de rebattage des cartes de nos existences par la faute de ce foutu virus, il n’est peut-être pas inutile de se le rappeler.

Voilà donc notre compositeur réouvrant le Masada Songbook. Éprouve t-il de la nostalgie pour cette période intense de sa vie qui lui a permis d’écrire plus de 600 compositions à tonalité klezmer ? C’est possible, mais sa démarche va bien au-delà. Les morceaux ont beau avoir déjà été enregistrés**, c’est à une véritable réinterprétation qu’il nous convie. Cela rappelle au passage que si les compositions tirées de Masada sont écrites avec si peu de détails - il n’y pas d’harmonie, uniquement le thème -, c’est justement pour que les musiciens s’en emparent et les fassent leurs. ZORN réutilisera d’ailleurs ce mode d’écriture pour ses Bagatelles.

New Masada Quartet, c'est d’abord un groupe entièrement renouvelé. Si la rythmique classique du jazz est maintenue (une batterie, une contrebasse, toutes deux brillamment tenues par le vétéran Kenny Wollesen et le plus jeune Jorge Roederer), la trompette de Dave Douglas est remplacée par une guitare électrique, celle de Julian Lage. Plus discret que Marc Ribot – à qui on ne peut s’empêcher de le comparer –, il est évidemment un artilleur de premier plan, mais se montre moins abrasif que son éruptif confrère, moins attiré par le bruitisme, bref plus doux.
Enfin, il y a John ZORN, évidemment, que l’on a un immense plaisir à retrouver au saxophone, lui qui n’en joue décidément plus beaucoup. Son impétuosité est toujours présente – couinements et hurlements compris -, mais il laisse se développer davantage de moments calmes, et surtout mélodiques, autant pour lui que pour ses comparses. Cette évolution dans son jeu permet d’équilibrer son duo avec Julian Lage, qui aurait sans doute été enseveli sous la furie du saxophoniste si ce dernier jouait encore comme dans les années 1990.

Qu’on ne s’y trompe cependant pas : la tension sous-jacente à tout disque de ZORN est bien là, et le fait qu’il y ait davantage de moments mélodieux ne la sacrifie en rien. Mais disons que le quartet, s’il s’avère tout aussi précis que son prédécesseur - il faut écouter "Hath Arob" pour bien comprendre ce que précision veut dire -, donne moins un sentiment d’urgence que de plaisir, tout simplement. Un plaisir présent à tout instant, intense et parfois un peu exigeant, mais qui irrigue tout le disque et touche tout le monde, musiciens comme auditeurs.

A ce jour, le quartet continue de tourner, mais sans qu’un nouveau disque soit annoncé. On ignore donc si New Masada Quartet marque le début d’une nouvelle série ou s’il doit être pris comme un témoignage d’une formidable musique jouée en temps de pandémie. Mais au fond, qu’importe : les "yeah !" enthousiastes poussés par ZORN dès "Tharsis" ne sont pas feints. Et on a clairement envie de faire comme lui.


*Site absolument indispensable pour tous les amateurs de John ZORN, et que l’on trouve ici : https://john-zorn.blogspot.com/. "Le Zornographe" recense et compile tout ce qui a trait à ZORN : sorties de disques, vidéos, articles de journaux, émissions de radios, photos, etc. Forces Parallèles y est régulièrement cité, que le Zornographe en soit remercié !
** Ils proviennent presqu’exclusivement du premier volume** du Songbook. En recherchant sur https://masada.world/one - autre site indispensable -, on les retrouve facilement. "Mibi", en revanche, provient du 2ème livre. Quant à "Targriel", je n’en ai pas trouvé de trace, quelqu’un sait-il d’où il provient ?