S’il y a une œuvre de John ZORN taillée pour l’enregistrement en concert, c’est bien Cobra. Insaisissable, perpétuellement renouvelée, Cobra change de forme à chaque nouvelle interprétation, se révélant d’une richesse infinie. John ZORN lui a consacré quelques disques, faisant toujours preuve d’un soin maniaque dans le choix des musiciens, s’intéressant autant à équilibrer les timbres que les caractères des interprètes. Il aurait ainsi pu décliner Cobra pendant des années, mais il n’en a rien fait, soucieux de conserver à cette œuvre singulière sa fraîcheur.

Ce Live at the Knitting Factory ne ressemble pas tant à une volonté de John ZORN de nous faire découvrir une nouvelle mouture de Cobra qu’à une petite fourberie. The Knitting Factory, c'est le nom d'un club de jazz/rock/musique expérimentale que ZORN a beaucoup fréquenté dans les années 1990. Mais à l’époque, c’est également devenu un label ayant sorti quelques disques, dont ce Cobra qui donne l’impression d’être opportuniste.

Le nom de ZORN, par exemple, s’étale en grand sur la pochette, alors même que ce dernier est quasiment absent du disque* ! Cerise supplémentaire sur le gâteau d’une production à l’emporte-pièce, le nombre de groupes enregistrés : 13 pour 14 titres ! Autant dire que ce disque relève davantage de la compilation que d’une véritable ré-interprétation approuvée par son compositeur**. Mais nous sommes en 1995, et ZORN n’a pas encore la totale maîtrise de sa propre production discographique, même s’il vient de créer le label Tzadik pour y remédier.

Cela n’empêche pas quelques bonnes choses. En gage d’honnêteté et de probité quant à la démarche, on peut d’ailleurs préciser que le producteur de ce disque n’est autre qu’Anthony COLEMAN, qui a participé au premier Cobra et continue depuis de répandre sa bonne parole à travers le monde***. Il y a donc de bons passages, même si l’on se perd dans la multitude des formations. L’impression générale demeure cependant typique de Cobra : on y entend d’abord l’immense plaisir des musiciens, et un aspect drolatique tout à fait réussi, atteignant même la bouffonnerie pure. Citons "Cobra 4 - Taipan" et "Cobra 5 – D. Polylepis", deux morceaux particulièrement savoureux entièrement chantés, hurlés, aboyés au besoin, qui ne peut que nous conforter dans l’idée que Cobra, quelque part, est le fils naturel des MOTHERS OF INVENTION.

Album mal fichu mais pouvant s’avérer réjouissant par endroits, faux live mais vraie compilation de morceaux enregistrés en public, ce disque n’est pas mauvais, mais tout juste bon. On ne saurait toutefois le conseiller aux simples curieux. Cobra restant une œuvre un peu difficile à appréhender, autant lui préférer l’original de 1987.


*Il joue du saxophone sur un titre: "Cobra 9 - Acanthopis Antareticus" (tous les titres sont des noms de serpents).
**Ce que sera Tokyo Operations '94 la même année.
***On ne peut que recommander de regarder COLEMAN diriger Cobra avec The New England Conservatory (https://www.youtube.com/watch?v=UdNdSJUf_8I). L'interaction entre les musiciens et le "prompter" prend alors tout son sens.