L’étrange photo illustrant Madness, Love and Mysticism est tirée de L’Âge d’or, film mémorable de Luis Buñuel datant de 1930. En faisant ce choix, John ZORN réaffirme son intérêt pour le surréalisme puisque L’Âge d’or a été co-écrit par Buñuel et Salvador Dali, deux figures emblématiques de ce drôle de mouvement, juste après Un chien Andalou.
Rappelons que John ZORN s’est déjà inspiré de Marcel Duchamp qui, s’il n’a jamais rejoint officiellement le mouvement théorisé par André Breton, en a été proche. Rappelons enfin que Duras : Duchamp était illustré par une photographie de Man Ray, autre surréaliste notoire.

Le surréalisme a marqué son époque – grosso modo des années 20 aux années 60 – et une bonne partie du Monde, de l’Europe au Japon en passant par les Etats-Unis. La liste de ses défenseurs et compagnons de route est impressionnante, celle de ses détracteurs également. Parmi ses collaborateurs, et en dehors des suscités, on peut nommer Philippe Soupault, George Bataille – autre source d’inspiration* de ZORN – ou René Magritte, et il y en a plein d’autres encore !

ZORN en choisit ici trois en particulier : Antonin Artaud, Joseph Cornell et André Breton lui-même. Ces trois-là servent d’inspiration pour trois pièces de musique de chambre : pour "Le Mômo" (d’après Artaud), un duo violon/piano ; pour "Untitled" (d’après Joseph Cornell), un violoncelle solo ; pour "Amour Fou" (d’après André Breton) les trois instruments réunis.

Antonin Artaud, rien que ça ! On peut tout de même se demander quelle connaissance réelle a ZORN de l’œuvre d’Artaud, auteur pouvant s’avérer particulièrement hermétique, même pour un Français. Peut-être l’a t-il écouté** ? Qoiqu’il en soit, son "Mômo" semble relativement sage comparé à son inspirateur. On y retrouve l’habituelle virtuosité de l’écriture Zornienne, son goût des boucles et de la tension pas toujours résolue, mais on y entend également une vraie douceur par endroits. Et c’est bien évidemment l’alternance de ces différents temps, dans une œuvre dense et ramassée sur elle-même, qui en fait finalement une réussite. Le feu d’artifice final, enfin exubérant, est assez formidable.

"Untitled" joue sur du velours. Toujours très inspiré par les instruments à cordes, ZORN déploie ici son très grand savoir-faire pour Erik FRIEDLANDER, complice de l’époque du BAR KOKHBA SEXTET. Le violoncelle, instrument d’une indéniable majesté, est ici exploré sous toutes ses coutures, et fait montre d’une vraie brutalité mais là aussi d’une forme de douceur, et jongle entre intensité, intranquillité et vraie quiétude. Et tout comme dans "Le Mômo", John ZORN le compositeur ne fait pas montre que de créativité, il se préoccupe de l'ensemble de l'oeuvre, parvenant à ramasser sa composition pour en faire un tout dense, solide, ayant un début... et une fin !

Comme toujours, un des morceaux est moins réussi. C’est comme si, au fond, un disque de ZORN n’était pas vraiment complet s’il ne comportait une part d’ennui. Et c’est donc "Amour Fou" qui fait ici office de composition filandreuse, de celles dont on peine à comprendre le sens. Belle par endroits, elle semble totalement éparpillée, au point d’en paraître sans queue ni tête. Oh bien sûr, elle est sans doute construite sur une savante mécanique pensée par le compositeur, mais cela n’emporte guère.

Si "Le Mômo" et "Untitled" sont particulièrement réussies, "Amour Fou" alourdit l’ensemble, lui enlevant ce qui ressemblait pourtant à une vraie cohérence. Cela empêche le disque d’atteindre la quasi perfection de Cartoon S/M. Madness, Love and Mysticism reste donc intéressant, mais rejoint la cohorte des albums nous laissant sur une sensation d’inachèvement.


* L’intérêt de ZORN pour le surréalisme ne se dément pas : en 2019, il consacre le 8ème disque de la série The Hermetic Organ à Artaud. Fin 2021, The New Masada Quartet est illustré par un collage typiquement surréaliste, sur lequel figure, en bonne place, le Manifeste de Breton.
**Car Artaud n’a pas qu’écrit, il a également enregistré Pour en finir avec le jugement de Dieu, "œuvre" sonore absolument inclassable et totalement culte que l’on ne saurait trop recommander aux amateurs de bizarre. On la trouve sans problème sur les plate-formes habituelles.