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Les victoires de leur musique
Par GEGERS le 17 Février 2013 Consulté 4570 fois

Vous vous rappelez sans doute l'histoire de Charlie et la Chocolaterie, de ces enfants qui trouvent chacun, dans une barre de chocolat Willy Wonka, le ticket gagnant leur permettant de passer une journée magique dans la fabrique hallucinée du joyeux entrepreneur. Le regard émerveillé des gamins, la joie naïve et empreinte de ce désagréable sentiment que partager leur bonheur l'amoindrit, lui donne légèrement moins de valeur. Tous les ans, France Télévisions distribue son lot de tickets gagnants à une poignée d'artistes désignés par leurs pairs et les professionnels du disque (s'il en reste encore) sous le regard bienveillant d'au choix Nagui, Michel Drucker ou Laurent Ruquier, de véritables professionnels du petit écran, pour leur part adoubés depuis bien longtemps, et choisis pour leur savoir-faire en matière de jeux de mots faciles ou d'ameublement entre les lancements.

A la grande foire du trône de la rondelle en plastique, tout le monde à sa chance. Bien sûr, la cérémonie a depuis longtemps perdu de sa superbe, et à réduit ses catégories à peau de chagrin, n'offrant que 13 maigres statuettes à d'heureux vainqueurs au sourire figé. Si les industriels (quel horrible terme) de la musique se félicitent de cet évènement, permettant de booster les ventes sur Itunes ou d'écouler quelque fonds de stock à la FNAC, la logique de la chose reste encore à définir. Car outre le fait qu'ils sont tous deux français et disposent d'un appendice pendouillant entre leurs jambes, qui peut citer un moindre point commun entre l'exubérance rock de M et l'intimisme de Benjamin Biolay ? Qui peut, honnêtement, choisir qui mérite de bénéficier d'un petit quart-d'heure de gloire supplémentaire entre Lou Doillon, Céline Dion, Françoise Hardy ou La Grande Sophie ? Vous a-t-on déjà demandé de choisir entre du saindoux et des rillettes pour étaler sur votre tartine, au petit déjeuner ? Ce regroupement d'artistes (le mot est parfois un peu fort) en lots de nommés relève d'une hypocrisie opportuniste qui n'est représentative que d'une partie de la population française : celle qui subit le matraquage radiophonique et télévisuel en se disant que, si les médias disent que c'est bien, ça doit forcément être super. Bien sûr, dans le lot, nombre d'artistes nommés méritent d'être reconnus et célébrés. Ils méritent néanmoins mieux que cette distribution de bons points et le droit de remercier leur maman, qui doit être scotchée en larmes devant son écran.

L'ire ultime est la catégorisation. Célébrer un artiste masculin, féminin, ou une révélation de l'année, pourquoi pas. Mais comment peut-on penser offrir un éventail exhaustif de la production musicale française en proposant, en guise de catégories, le meilleur album rock, le meilleur album de musiques urbaines, de musiques du mondes, de musiques électroniques. Voici donc tout ce dont les artistes français sont capables ? C'est bien réducteur. Si l'on célèbre les musiques du monde, quid des musiques de l'antimatière, nihilistes, qui voient dans le monde que l'on nous vend une menace plus qu'une bénédiction ? Si l'on fait une fête aux musiques urbaines, qu'en est-il des musiques rurales ? Celle pratiquée par ce duo folk, couché dans le foin, innovante et inspirée ? La laisse-t-on aux concours de labour ? Qui peut, sans frémir, applaudir des deux mains lorsque est prononcé le nom des BB Brunes dans la catégorie du meilleur album rock ? Et que fait-on de ces artistes de musique metal, progressive, classique ou jazz qui, dans l'ombre, impulse une vie réelle, palpable, à la scène musicale française ? Les deux derniers genres disposent, vous me direz, de leur propre cérémonie. Peu ou pas diffusée, confidentielle, comme pour ne pas associer le succès de ces artistes à l'autosatisfaction puante de nababs qui frémissent plus à la vue des courbes de vente qu'à l'écoute d'un artiste méritant et discret.

Cerise sur le gâteau, la Victoire d'honneur, médaille remise aux anciens combattants. Celle-ci est remise par grappe, comme un dernier salut avant l'euthanasie. Si Véronique Sanson, Sheila et Enrico Macias ont cette année accepté de monter sur scène pour récolter leur dose d'applaudissements, gloire à Serge Lama qui, entre deux pontages coronariens, a fustigé cette « humiliante impression d'être dans un paquet d'anciens dont on se débarrasse ».

Célébrons donc C2C et Lou Doillon, célébrons les stickers « Élu victoire de la musique 2013 » qui vont fleurir dans les quelques bacs encore debout en se disant que, derrière les projecteurs éblouissants de leur musique, il reste toujours LA musique, celle qui vit avec son temps et n'existe pas pour être remerciée mais pour s'épanouir au creux du tympan de ses auditeurs. Leur musique, on la leur laisse. Nous avons la notre, merci.

« Il la gâte trop, dit grand-papa Joe. Et, crois-moi, Charlie, c'est toujours dangereux de trop gâter les enfants. »
Roald Dahl, Charlie et la Chocolaterie.



Le 04/03/2013 par STRANGEMAN

Pas d'article sur les NRJ Music Awards ? (je plaisante)
Pour ma part, malgré les récompenses (inutiles), les présentateurs et l'organisation, j'ai plutôt apprécié cette cérémonie, d'avoir pu voir sur une chaine publique Shaka Ponk, Skip the Use et C2C le même soir. Et surtout, d'avoir découvert Rover... chaque année je découvre un artiste pas assez connu de cette façon. Et au moins, aucun prix n'a été décerné à GnanGnan Style.


Le 17/02/2013 par FLUNCH

Ouistiti : as-tu eu l'occasion de voir quelle était la situation dans les autres pays ? C'est exactement partout pareil, la daube au premier plan bien promue comme il faut, et les bons trucs à chercher majoritairement soit-même. Allez, il y a la Norvège ou il y a les grammys du metal, c'est une exception. Sans quoi il faut s'estimer heureux d'avoir sur nos ondes la possibilité d'écouter du C2C là ou en amérique l'on découvre péniblement l'éléctro par l'apport de David Guetta dans les Black Eyed Peas.

La France est bel et bien un pays de sourds ? Je ne dirais pas ça comme ça, c'est juste que comme dans tous les pays on met en avant les trucs les plus consensuels, et les gens intéressés un tant soit peu par la musique ne sont pas dupes.

Le plus triste est peut-être que l'on ait en France de multiples scènes bien talentueuses et que les Français qui se comportent en bons Français sont sans arrêt à arguer qu'on est à la traîne musicalement, sans chercher à savoir.


Le 17/02/2013 par LE OUISTITI

Je plussoie à cet édito, Les Victoires De La Musique sont une pathétique promotion du business mourant de la musique hexagonale, et cette cérémonie miteuse dresse un panorama ridiculement étroit de la scène française.

Tu fais bien de préciser que certains genres ont leurs propres cérémonies (nettement sous-médiatisées cependant), mais étant un adepte de musique metal (non sans apprécier également du jazz, du prog, du classique, de la techno, etc.), je suis chaque fois plus atterré par le mépris formidable des médias pour ce genre.

Comment peut-on ignorer tout un pan de la musique alors qu'elle remplit le Hellfest chaque année, comment peut-on snober avec une telle condescendance des groupes aussi passionnants que Klone, Hacride, Trepalium, Gojira (célèbre partout sauf en France eux...), Mass Hysteria, Nightmare et j'en passe et des meilleurs.
Certes Arte et France Culture s'y sont un peu intéressés récemment, mais il m'avait semblé qu'ils y voyaient surtout une forme de thèse sociologique, sans s’intéresser plus avant au fond de la chose, la musique.

La France est bel et bien un pays de sourds, une tare de plus à lui coller à l’arrière-train... Oup, on me fait signe que çà aussi c'est un sujet sensible en ce moment.
Bouché du cul et des oreilles en somme, pignoufs !



             



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