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Le vendredi 28 avril nous perdions Helge Engelke, 61 ans, deux jours après un diagnostic d'une tumeur cancéreuse au colon. Le 5 septembre, Bruce Guthro est mort, cinq jours après avoir fêté ses 62 ans et cinq ans après avoir commencé à se battre contre un cancer. Le 15 novembre, Karl Tremblay nous a quittés, à l'âge de 47 ans, et quelques mois après avoir rendu public ce cancer de la prostate qui le rongeait depuis 2020.

Entre ces trois artistes, guère de points communs. Le premier, guitariste au talent rare, a connu le succès avec son groupe de hard rock Fair Warning, tout en s'épanouissant de manière plus personnelle à travers son formidable projet Dreamtide, qui a ma préférence. Héritier du style néo-classique de son maître Uli Jon Roth, il a éclaboussé la scène hard rock allemande et européenne de sa classe et de sa délicatesse. Sa guitare était un cri, sa musique un monde, et il laisse derrière lui des albums à la saveur unique, d'une pureté, d'une poésie et d'une richesse bouleversantes.

Le deuxième, natif de la Nouvelle-Ecosse au Canada, a connu rapidement le succès en tant que chanteur solo, grâce à sa voix chaude, et son empathie pour la communauté de marins et de mineurs qui peuplent sa région. C'est de notre côté de l'Atlantique, en Ecosse, qu'il obtiendra sa plus grande reconnaissance, devenant à l'aube du siècle nouveau le chanteur du groupe de rock Runrig, participant à donner un souffle nouveau à cette institution qui, avec Bruce au micro, verra sa carrière rebondir jusqu'à ses adieux en grandes pompes en 2018.

Le dernier était, depuis la fin des années 90, chanteur au sein du groupe Les Cowboys Fringants, qu'il avait contribué à créer avec son camarade Jean-François Pauzé. De groupe "pastiche", la formation est devenue une institution sur la scène québécoise, portée par des textes mordants et vindicatifs à l'encontre du milieu politique, socialement très engagés, portés par une poésie et une conscience environnementale particulièrement fortes. Autant de morceaux percutants qui prenaient vie grâce à l'interprétation habitée de Karl, dont le décès a été un choc retentissant au Québec, le premier ministre décidant d'organiser des funérailles nationales pour marquer le besoin de recueillement de la province en deuil.

Ces trois musiciens, donc, mis à part quelques proximités fortuites, n'ont qu'un seul dénominateur commun : la personne qui les écoute, qui donne corps à leur art. Au fil de sa formation, de ce processus naturel qui l'amène à se forger une oreille, à découvrir les musiques qui l'aident à donner un sens à son existence, l'auditeur découvre, chine, recherche, apprend, et finit par "figer" certains artistes comme des essentiels dans sa discographie personnelle. Des artistes-pilier, des artistes-refuge, des artistes que l'on écoute comme on rentre à la maison, qui rendent notre ciel un peu plus bleu, notre quotidien plus intéressant.

Vous êtes le dénominateur commun entre tous ces artistes qui vous rendent meilleur. La musique est un lien, et chaque auditeur tisse une toile invisible mais particulièrement complexe, qui définit son univers et relie tous ces musiciens, tous ces chanteurs, tous ces groupes qui créent alors leur musique non seulement pour le monde entier, mais aussi pour lui seul. Lorsqu'un de ces piliers disparaît, c'est tout l'édifice qui vacille. Car il faut alors accepter que la musique est finie, et qu'elle constitue un corpus qui ne connaîtra pas de suite. Accepter la mort d'un artiste, c'est accepter de refermer une case dans sa discothèque intérieure, qui ne s'enrichira pas de l'attente d'un nouvel album, de la découverte de nouveaux morceaux. Ce n'est que par le biais du rétroviseur que la musique de ces artistes disparus constitue d'exister. Et si elle peut rester longtemps (indéfiniment même) vivace, d'une actualité brûlante, la musique qui ne connaitra pas de suite force tout de même l'auditeur a accepter que, comme un feu qui s'éteint doucement, il file lui-aussi tout droit vers son chant du cygne.

Je vous avoue que, l'annonce sur une échelle de temps très réduite du décès de ces trois artistes particulièrement importants pour moi, me laisse en cette fin d'année abattu et sans repères. La perte d'un artiste c'est un phare qui s'éteint, un précepteur qui ne dispensera plus ses conseils. Si la musique continue d'exister, elle prend désormais une saveur nostalgique qui nous fait comprendre comment, en l'espace d'un instant, il est facile de passer dans le camp du "c'était mieux avant". Car oui, le monde était mieux avant, quand Helge Engelke faisait sortir de sa guitare des stridences cosmiques, quand Bruce Guthro évoquait de son timbre tendre et chaleureux les beautés des hautes terres d'Ecosse, quand Karl Tremblay nous chantait qu'il valait mieux s'émouvoir de la beauté du monde que s'attarder sur sa tristesse. Trois grands artistes sont disparus, et il ne nous reste que leur musique comme un réconfort. Nos oreilles pour l'écouter, notre esprit pour la faire vivre, nos descendants pour la perpétuer, et nos yeux pour pleurer.



Le 13/12/2023 par ARCHANGEL

Je ne connais aucun de ces trois artistes mais je suis certaine que ton édito parle à tous les amoureux de musique. Magnifique texte !


Le 12/12/2023 par BORAHKRETH

Très beau texte que je vais m'empresser d'envoyer à un ami fan des Cowboys Fringuants. Même si je ne suis fan d'aucun des trois artistes évoqués, le texte n'en reste pas moins universel



             



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