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VANGELIS ou l'homme orchestre multi-directionnel
Par AIGLE BLANC le 30 Mai 2022 Consulté 1402 fois

I

Vangelis o' Papathanassiou nous a quittés le 17 mai 2022, à 79 ans, des suites d'une insuffisance cardiaque provoquée (ou aggravée), selon certaine source, par le Coronavirus. Peu importe quelle sera en définitive la version officielle de son décès, c'est bien un géant parmi les pionniers de la musique électronique qui vient de s'éteindre, au même titre que Florian Fricke (de POPOL VUH : 21 décembre 2001), Edgar Froese (de TANGERINE DREAM : 20 janvier 2015), Florian Schneider (de KRAFTWERK : 21 avril 2020) et Klaus SCHULZE (26 avril 2022).
Par sa notoriété (il a reçu l'Oscar de la meilleure B.O en 1981 pour Les Chariots de Feu), sa carrière se rapproche de celle de TANGERINE DREAM dont il partage le fait d'avoir conquis le public et les professionnels du marché américain, la différence résidant dans le fait que le compositeur grec a toujours gardé une obédience internationale qui marque sa dimension de citoyen du monde, même si sa nationalité et ses origines grecques sont restées sa vie durant indissociables de son être.
Mais par sa farouche indépendance, et le caractère instinctif de son art (depuis l'âge de 5 ans qu'il composait au piano, il n'avait jamais appris le solfège), VANGELIS rejoint Klaus SCHULZE, la différence encore une fois étant affaire d'ambition artistique, le plus célèbre barbu grec (après son ami et compatriote Demis Roussos) revendiquant la démarche des grands compositeurs dits "classiques" (BACH, BEETHOVEN, MOZART etc.) qui ne partageaient jamais avec quiconque le travail de composition. Dans sa carrière, un tel ego s'est traduit par le refus quasi total de laisser son talent se dissoudre au sein d'un groupe.
Relevons trois exceptions notables à ce principe : il était tout de même un des membres fondateurs du groupe grec de jazz The FORMYNX, claviériste et principal compositeur d'APHRODITE'S CHILD, aux côté de Demis Roussos et Lucas Sideras, et deuxième nom du super-duo JON & VANGELIS. Les deux premiers groupes ne remettent nullement en question d'ailleurs l'individualisme du solitaire VANGELIS dans la mesure où leur brève existence (1965-1966 pour les FORMYNX - à peine 9 singles et 1 E.P / 1968-1972 pour les deuxièmes) précèdent sa carrière solo. Des trois albums d'APHRODITE'S CHILD, VANGELIS s'est retrouvé seul lorsqu'il a fallu finaliser le dernier, et plus réputé, 666, les autres membres ne le rejoignant pas du tout dans sa veine progressive démiurgique, aux limites de l'expérimental, et laissant de ce fait 'tomber l'affaire' d'un projet devenu l'enfant d'un seul homme. Quant au duo formé avec son ami Jon Anderson de 1980 à 1991, il n'a pas survécu à 4 albums, le dernier (Page of Life) isolé de ses prédécesseurs par un vide de 8 ans cloturant cette collaboration prometteuse sur une note assez insipide. Le claviériste grec avait rencontré Jon Anderson en 1974, lors d'un casting initié par le groupe YES, à l'époque où ce dernier cherchait à remplacer Rick Wakeman. Bien que le guitariste Steve Howe eût désapprouvé le style trop new-age de VANGELIS, si cette association n'avait pas été concrétisée, c'est bien plutôt du fait du barbu grec qui ne pouvait supporter l'idée d'intégrer une formation aux ego aussi démesurés qui auraient dilué et terni le sien.
Une autre collaboration de VANGELIS mérite d'être honorée en cette colonne, même si elle ne s'intègre pas officiellement à sa discographie en solo : il a accompagné aux claviers et synthétiseurs l'actrice et tragédienne Irène Papas, le temps de deux albums aux effluves typiquement grecs, Odes (1978) et Rapsodies (1986). Le premier, une merveille absolue, osons dire un chef-d'oeuvre, anticipe d'au moins quatre ans le duo exceptionnel DEAD CAN DANCE formé par l'Australienne Lisa Gerrard et l'Irlandais Brendan Perry. Malheureusement, 8 ans plus tard, Irène Papas et VANGELIS ne parviennent pas à réitérer la magie, Rapsodie s'avérant indigne de son illustre prédécesseur.

II

Comme celle des artistes aux succès populaires, l'oeuvre de VANGELIS bénéficie d'un éclairage médiatique avantageux, de sorte qu'il y a fort à parier que l'énoncé de son patronyme éveille dans chaque foyer au moins une référence discographique tels ses deux plus grands tubes, Les Chariots de Feu (1981) et 1492, Conquest of Paradise (1992) dont les thèmes principaux figurent parmi les plus iconiques du 7°art. Qui n'a jamais entendu ces deux hymnes diffusés ad nauseam à la radio ne doit pas être de ce monde.
Hélas, comme cela se produit souvent avec les artistes surexposés, ces deux hits constituent l'arbre dissimulant la forêt. Si l'on observe d'un peu plus près les titres ayant valu à VANGELIS sa forte renommée, force est de reconnaître que c'est surtout avec sa veine commémorative que le grand public est le plus familiarisé. En effet, le compositeur grec n'avait pas son égal pour écrire des hymnes propres à galvaniser les foules. Au-delà des Chariots de Feu et de 1492, qui proposent deux hymnes incontournables et éternels, n'a-t-il pas signé aussi en 2002 l'hymne officiel de la Coupe du monde de football ? Combien de stades et de meetings politiques, combien de cérémonies mettant l'armée à l'honneur, n'ont-ils pas résonné au son des notes de 1492 et des Chariots de Feu ? Si la surexposition de ces hymnes en a hélas altéré le plaisir de l'écoute, reconnaissons que ce sont devenus d'authentiques standards, identifiables dès l'entame de la première note. VANGELIS y démontre son goût pour l'ampleur, ou l'emphase selon certaines mauvaises langues. S'y déploient son art inné de la mélodie aussi simple qu'accrocheuse, son goût également pour les choeurs monumentaux (ceux de l'armée rouge interprétant l'hymne inaugural de 1492). Il serait toutefois dommage d'ignorer les autres hymnes, infiniment moins médiatisés, parcourant sa discographie, comme celui ouvrant la B.O d'Opéra Sauvage (1979) et intitulé sobrement "Hymn", ou le relativement plus connu, et très beau, "To the Unknown Man", pièce d'orfèvre de l'album Spiral (1977), sans oublier l'énormissime "Voices", ouvrant l'album éponyme de 1995, où le compositeur grec pousse les caractéristiques déjà explosives de 1492 jusqu'à l'ultime stade de la caricature, excès à double tranchant : d'un côté, "Voices" écoeure par son emphase faisant paraître comparativement les albums solo de Rick WAKEMAN comme des modèles de sobriété ; de l'autre "Voices" s'affirme comme l'hymne le plus puissant et dévastateur de son auteur, sorte de digne héritier (j'assume) du fameux "Hymne à la joie" de Ludwig von BEETHOVEN. N'enfermons pas cependant le compositeur dans cette veine grandiloquente et apprécions son hymne secret, le plus subtil et intime, l'émouvant "Five Circle", sans doute le chef-d'oeuvre méconnu de la B.O des Chariots de Feu, où il déploie des merveilles de sensibilité et de délicatesse. "Five Circle" n'est pas l'hymne de la gloire, mais celui du regret, paradoxe aussi fascinant que bouleversant.

III

VANGELIS ne serait pas le génie que l'on connaît si sa discographie devait se résumer à ses seuls hymnes, quelle que soit leurs qualités respectives.
Il est un autre domaine dans lequel s'est exprimé au plus haut degré son talent : le 7ème art. Que le cinéma se soit tourné vers lui apparaît aujourd'hui comme une évidence. Bien que sa productivité ne soit en rien comparable à celle d'Ennio MORRICONE, il a su magnifier comme nul autre les images des films que sa musique a honorés, exploit d'autant plus remarquable que l'autodidacte VANGELIS n'a pas suivi le parcours royal des grands compositeurs du genre comme Jerry GOLDSMITH ou James HORNER.
Quand E. MORRICONE n'aime rien tant que composer la musique d'un film en amont du tournage, sur la seule base de son scénario lu et relu jusqu'à en comprendre les mécanismes et ressorts psychiques, de sorte que lors du tournage le cinéaste peut la diffuser pour donner aux comédiens le rythme de la scène ainsi que sa dimension émotionnelle, VANGELIS quant à lui n'intervient jamais avant le montage final. Alors, devant un écran où il se fait projeter le film, le claviériste improvise la musique que génèrent en lui les images et l'émotion de la scène, qu'il découvre avec la candeur du public non averti. C'est ainsi qu'ont été composés Les Chariots de Feu, Blade Runner et 1492, ses B.O les plus réputées. E. MORRICONE a besoin d'analyser les enjeux dramatiques du scénario et l'impact collatéral produit sur chaque personnage, afin de livrer une partition venant en contrepoint des scènes où elle doit intervenir, le but étant de ne pas réduire la musique à une simple fonction de soulignage et d'accompagnement des images. Le compositeur grec procède aux antipodes de son illustre confrère romain, sa partition 'improvisée' réagissant aux émotions que produisent les images sur son esprit. Cela confère à sa musique une fonction d'exhausteur d'émotion. Elle ne raconte pas le sous-texte induit par la scène ni les liens psychiques entre les personnages, mais double simplement la puissance des images. Ses B.O les plus inspirées paraissent envahissantes quand les images ne sont pas à sa hauteur, mais quand il s'agit d'un styliste et d'un graphiste de la trempe de sir Ridley Scott, alors l'osmose entre les deux peut provoquer sur le spectateur un effet de sidération quasi hypnotique, une immersion totale dans le monde recréé par les images. Blade Runner et 1492 trouvent cet équilibre magique du dialogue entre images et musique, les unes générant l'autre ou vice-versa.
La démarche de VANGELIS, doublée de son propre génie mélodique, lui permet de composer des partitions toujours émouvantes (L'apocalypse des Animaux, La Fête Sauvage, Opéra Sauvage), lyriques (Entends-tu les chiens aboyer?, Antarctica), baroques (Blade Runner, 1492) ou, à l'inverse, d'une discrétion qui en décuple l'émotion (Missing), l'immense avantage résidant dans le fait que ses B.O ne souffrent nullement d'être écoutées sans l'apport des images. L'auditeur peut les apprécier sans connaître le film, pour elles-mêmes en quelque sorte. De là, provient sans doute la place primordiale qu'occupent ses B.O dans sa discographie. N'oublions pas, contrairement à la plupart de ses confrères officiant exclusivement ou presque pour le cinéma (E. MORRICONE, Jerry GOLDSMITH, James HORNER, Dimitri TIOMKIN, Hans ZIMMER, James Newton HOWARD etc.), que la carrière de VANGELIS s'est bâtie en même temps autour de ses albums solo composés de sa propre initiative, ce que MORRICONE appelant de ses voeux désignait sous le terme emblématique de 'musique absolue' par opposition à 'la musique appliquée', c'est-à-dire répondant au désir d'un autre artiste qui lui impose son programme.
Les B.O de VANGELIS jouissent d'une telle réputation qu'il n'est pas rare que son nom soit associé dans l'esprit de certains exclusivement au 7ème art, sa discographie 'personnelle', 'absolue' se trouvant dès lors reléguée au second plan voire méconnue ou ignorée.

IV

La discographie solo de VANGELIS, riche de 19 albums parcourant le demi-siècle, de 1973 à 2021, reste pour le moins modeste en terme de productivité, ce que confirme l'absence totale de double-album, tradition pourtant fort répandue alors dans la musique électronique (Cyborg et Zeit) comme dans le rock progressif (Tales From Topographic Oceans, Incantations). Cela se traduit par une oeuvre d'une belle tenue générale, soutenue par des pics artistiques majestueux et un nombre de ratages des plus faibles, ces derniers concernant principalement son ultime période où Rosetta (2016), Nocturne (2018) et From Juno to Jupiter (2020) ne rendent pas vraiment justice au génie de l'artiste qui y apparaît diminué et comme vidé de sa substantifique moëlle.

On serait bien en peine également d'organiser a posteriori sa carrière en terme de périodes marquées, contrairement à celle de TANGERINE DREAM dont la musique a évolué de l'expérimental au cosmique, du rock progressif au new-age, tout en s'adonnant au rock F.M. Le style de VANGELIS quant à lui n'a pas véritablement évolué, sans jamais pour autant tomber dans la redondance.
En réalité, très tôt, sa carrière a connu une orientation multi-directionnelle, depuis son très bel opus inaugural (Earth, 1973) encore fortement imprégné d'un pop-rock mâtiné de folk, veine exploitée par ailleurs dans sa magnifique collaboration, quoiqu'inégale, avec Irène Papas (Odes et Rapsodies -1978-86) et, dans une moindre mesure, dans l'excellent China (1978), plus proche cependant de la musique traditionnelle voire de la musique du monde.

Le vrai départ de sa discographie en solo demeure Heaven & Hell (1975) sur la pochette de laquelle il délaisse pour la première fois la moitié de son patronyme : exit le nom Papathanassiou et place au sobre et concis VANGELIS. Heaven & Hell initie brillamment une orientation chorale d'ampleur symphonique qui atomise la douceur planante de ses travaux antérieurs, au point que le musicien, méconnaissable, semble avoir fait peau neuve. Si l'album a laissé une trace indélébile dans la mémoire de ses fans, force est d'admettre que la musique a vieilli, pas seulement en raison des claviers analogiques aux tonalités parfois crispantes, mais surtout par le manque de subtilité des compositions dans lesquelles VANGELIS se lâche comme jamais, ce qui occasionne des moments où l'esbrouffe prend le pas sur le génie ou se veut le cache-misère de compositions par ailleurs bien pauvres. Cependant, Heaven & Hell contient suffisamment de sublimes passages pour s'imposer comme une référence de sa discographie. Cette veine chorale trouve son apogée dix ans plus tard avec Mask (1985) où l'artiste se montre plus mûr dans sa gestion du choeur (il recourt de nouveau à l'English Chamber Choir) et plus solide aussi dans son travail de composition, à n'en point douter l'un de ses pics artistiques. Bien entendu, certaines de ses B.O s'abreuvent épisodiquement à la même source, comme le lent et sombre premier mouvement d'Ignacio (1977) sur lequel le choeur déverse toute la misère du monde, comme le canonique hymne de 1492 (1992), enrichi du choeur de l'armée rouge, sans oublier le bouleversant "Psalmus Ode", extrait de la B.O de The Plague, digne héritier du célèbre "Miserere" de Gregorio ALLEGRI. La dernière oeuvre chorale de VANGELIS remonte à 2001, Mythodea, composée pour la NASA à l'occasion de la Mission vers Mars.

Dans la seconde moitié des années 70, emboîtant le pas de Klaus SCHULZE (Timewind, 1975), TANGERINE DREAM (Rubycon, 1975) et Jean-Michel JARRE (Oxygène, 1976), VANGELIS se lance dans l'exploration de la musique cosmique, sa démarche différant quelque peu de celles de ses illustres confrères. Avec Albedo 0,39 (1976) et Spiral (1977), il livre deux albums de musique cosmique de haute voltige, qui font aujourd'hui encore autorité auprès des adeptes du genre spatial. Moins atmosphérique que TANGERINE DREAM, ne se refusant pas non plus de composer des tubes aussi accessibles que ceux de Jean-Michel JARRE, mais en nettement plus dynamiques (l'agressif et survolté "Pulstar", le tournoyant et magnifiquement séquencé "Spiral", sans oublier les boléros cosmiques "Alpha" et "To the Unknown Man"), il révèle une personnalité originale et un style à nul autre pareil. On peut regretter qu'il n'ait pas poursuivi dans cette veine au-delà de ces deux albums. Certes, il a composé la musique de Blade Runner qui contient des passages cosmiques du plus bel effet, comme le majestueux "Main Titles" d'ouverture et le pulsé "End Titles", mais appliquée au programme défini par le film, la démarche de VANGELIS diffère quelque peu de celle adoptée lors d'Albedo 0.39 et de Spiral.

Cela nous introduit d'ailleurs à la veine similaire, mais pas identique, qu'il a exploitée à l'occasion de son génial autant que déstabilisant See You Later (1980) où il déploie une musique non pas tant cosmique que rétro-futuriste, sans doute le registre où s'exprime le mieux son génie iconoclaste. Délaissant les amples envolées spatiales de Spiral, l'artiste resserre le propos sur des formats plus proches de la pop avant-gardiste ou de la new-wave. En attestent les excellents "I Can't Take It Anymore" et "Multi-Track Suggestion" qui osent faire intervenir un chant 'robotique' ou 'glacial' influencé en partie par le style de KRAFTWERK, tout en conservant une identité fort originale. Mêlant rythmes robotiques, ironie de textes volontairement lapidaires voire abscons, VANGELIS délivre une pop électronique étrange, souvent asphyxiante, dont il semble s'être inspiré pour accompagner musicalement l'univers cyberpunk de la mégapole de Blade Runner. Est-ce un hasard si Ridley Scott a demandé l'autorisation à VANGELIS de reprendre son blues futuriste "Memories of Green" (extrait justement de See You Later) pour souligner la première scène intime entre Harrison Ford et la répliquante Sean Young ? Il va de soi que ce choix marque de son empreinte le reste de la B.O de Blade Runner qui s'en inspire avec bonheur. Là encore, on ne peut que déplorer que le musicien n'ait pas développé ce registre rétro-futuriste lors de ses albums ultérieurs, à l'exception de deux réminiscences inattendues contenues dans son 11ème opus Direct (1989) dont "Metallic Rain" et "Intergalactic Radio Station" retrouvent la saveur iconoclaste d'une pop futuriste volontairement stéréotypée. (Rêvons un instant de ce qu'aurait pu donner la collaboration du VANGELIS de See You Later et du chantre de l'electro-synth-pop Gary NUMAN). Même ses derniers albums, pourtant commandés et inspirés par les missions de la NASA (Mythodea, Rosetta et From Juno to Jupiter) ne sauraient s'inscrire dans cette inspiration cosmique : VANGELIS s'y abandonne à des claviers sirupeux à l'ampleur symphonique comme vidée de sa substance, le registre new-age ne convenant pas du tout à l'exploration spatiale.

La veine rétro-futuriste de VANGELIS trouve peut-être sa source dans la musique contemporaine d'avant-garde que le compositeur a abordée à deux reprises dans sa discographie. On peut aisément imaginer la mine déconfite de ses fans le jour où, en 1978, ils ont posé le saphyr de leur électrophone sur le premier sillon de son 5ème album, l'inécoutable autant que frondeur Beaubourg, sans doute l'équivalent du fameux et non moins radical Metal Music Machine de Lou REED, sorti 3 ans plus tôt. Conçu en dehors de toute contingence commerciale, et résultat d'une totale improvisation, l'album semble avoir été enregistré en même temps que VANGELIS tentait des notes aléatoires sur son célèbre et préféré synthétiseur Yamaha CS-80. Guère tendre avec cette oeuvre à part dans sa carrière, et dénuée de la moindre accroche mélodique, il va même jusqu'à la décrire comme une diarrhée musicale. L'ensemble a de quoi séduire évidemment les adeptes de musique contemporaine (Pierre SHAEFFER) autant que donner le bâton pour se faire battre à ceux qui jugent inbuvable et pédant l'art contemporain. Le titre du disque renvoie bien entendu au fameux centre George Pompidou qui accueille depuis 1977 tout le gratin de l'art moderne et héberge également dans ses annexes l'Institut de Recherche et Coordination acoustique/musique fondé par Pierre BOULEZ. L'artiste avait vécu à proximité de la place Beaubourg lors de son arrivée à Paris en 1968 et ce disque sert de réceptacle aux souvenirs agréables qu'il en a conservés. Beaubourg reste difficile à appréhender tant la démarche de VANGELIS mêle l'ironie et le sérieux dans ce qui ressemble autant à un pensum élitiste qu'à un pastiche parodique censé rappeler les réactions de rejet qu'avait provoquées le centre de George Pompidou lors de son inauguration.
Sa seconde incursion dans la musique contemporaine, Invisible Connections (1985), suscite les mêmes interrogations, à mi-chemin de la création pure avant-gardiste et du narcissisme abscon, dans un étalage de notes de claviers et de bidouillages électroniques 'futuristes'. Cependant, ce cousin de Beaubourg se révèle plus fréquentable car plus harmonieux dans ses expérimentations, moins agressif et plus sophistiqué. La bande-son d'Invisible Connections, sortie 3 ans après Blade Runner, peut être facilement appréhendée comme le background du film de Ridley Scott. Si vous enleviez les mélodies de sa B.O, il n'en resterait sans doute que les effets, son design sonore, qui pourraient ressembler à ce que livre ce 9ème opus.

Aucun édito ne saurait condenser en quelques pages la carrière, plus complexe qu'elle n'y paraît, de VANGELIS. Si celui-ci devait vous donner envie de revisiter les facettes les moins exposées de sa carrière multi-directionnelle, alors sa modeste ambition serait accomplie.




             



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