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Les chroniqueurs aussi écoutent de la merde
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C’était le 21 juin dernier, la plupart de l’équipe de Forces Parallèles s’était donné rendez-vous au QG (situé au septième étage d’un immeuble d’affaires, la meilleure planque pour un groupe de critiques, dans un appartement auparavant occupé par l’association des Fans de Cosplay des X-Men en lycra). En m’y rendant, descendant la 36ème rue, j’avais croisé deux-trois groupes qui jouaient pour la Fête de la Musique. J’avais hâté le pas pour tout dire, le premier produisait une espèce de death-metal brutal minimaliste, dont l’imitation du cri d’agonie d’un réacteur d’avion en pleine crise d’épilepsie était très ressemblante ; le second était également assez peu recommandable, du disco-guinguette, avec des reprises de Calogero adaptées pour l’occasion. Heureusement, j’ai quand même réussi à survivre et à arriver dans les locaux de FP. Tremblant, l’œil hagard, le palpitant aux bords des lèvres, certes, mais en vie.

Dans les bureaux, ça sentait déjà les vacances. Certains avaient chaussé leur bermuda et enfilé leurs tongs. D’autres avaient ramené leur gros sac à dos, prenant le train directement après la réunion, comme Barz, notre spécialiste en rock français, qui avait prévu un petit séjour à la colline et à la montagne, tandis que Vivi, l’une des très rares représentantes de l’espèce féminine du staff (et à ce titre adulée comme une divinité et préposée à la machine à café), qui nous abandonnait pour aller faire du cinéma. On était un bon paquet à être là, ce qui était exceptionnel.

– Ça va Mister ? T’es tout pâle…, me demanda Saskatchewan, notre spécialiste en électro hallucinoïde, qui arborait un T-shirt « God Save les Amibes » en raccord avec la couleur de la moquette. Je hochai la tête et m’installai auprès de mes chers confrères.
– Ça va les gars, ça va. J’ai juste croisé les types de la Fête de la Musique en bas de chez nous…, expliquai-je. Mon cœur commençait à peine à retrouver son rythme normal. Tous opinèrent du chef, compatissants.
– Ah ouais, dur…
Je me pris quelques chips qui étaient posées sur la table et me servis un verre de punch afin de me ravigoter.
– En effet, c’est dur. Je me demande s’ils ont un public… Et si un jour, s’ils parviennent à sortir un album, ils trouveront des acheteurs…, lançai-je d’un air pensif.
– Bah, c’est bien possible, me répondit Stef, de sa voix toujours pleine de sagesse, il y a toujours des gens qui s’intéressent à tout, non ? Même quand c’est mauvais.
– Surtout quand c’est mauvais, voulut rajouter une langue perfide que nous garderons anonyme afin de préserver sa vie privée.
– Qui n’a jamais acheté de disques pourris ?, poursuivit Stef. Je suis sûr que si l’on faisait un tour de table, on s’apercevrait que l’on en a tous dans notre discothèque.

Le terrain devenait glissant, mais l’ambiance semblait aux confidences, l’alcool et surtout les gâteaux apéritifs aidant.
– Bon, bah voyons ça, alors, lança Ziggy, qui se redressa sur sa chaise, courageux dans sa volonté d’ouvrir le bal. Pour ma part, je pense à quelques albums d’Elton John bien à chier, Duets par exemple, Rock Of The Westies ou bien encore The Big Picture. Tiens du coup, Elton a le record d'amplitude du grand écart… Je pense aussi à quelques disques de metal pourris, comme le Glorious Burden de Iced Earth ou le Only Human de At Vance.
– Ah mon dieu, je les ai aussi, m’écriai-je, rougissant tel une fesse fouettée jusqu’au sang.

– Ça va, ça reste assez spécialisé, dit Stef en souriant. Pour ma part, je confesse que je dois avoir un Obispo (long moment de silence et de solitude crispée)… L’album Superflu, de 1997, qui porte bien son nom pour le coup. Celui-là, il vaut au moins cinq albums moisis… Mon camarade de chambrée à l'armée était fan, il le passait en boucle et avait presque fini par me convaincre qu’Obispo c'était bien... C'est ça d'être faible et influençable. Du coup, j'ai acheté son album. Je le regrette et promis on ne m'y reprendra plus.
– Elle est loin l’époque où les mecs de l’armée écoutaient du Wagner dès le matin en sniffant du napalm !, m’exclamai-je.
– J'ai aussi la comédie musicale Les 10 Commandements, c'est pas très glorieux je l'avoue..., ajouta Stef tout piteux. Il est clair que s’il n’avait pas été le créateur de Nightfall, toute l’équipe l’aurait sur le champ lapidé à coup de cacahuètes. Comme quoi, faire l’armée, c’est dur.

Dans un sens, ça faisait mal aux fesses d’apprendre ça. On ne se regarderait plus jamais de la même façon. Mais le tour de table était lancé. Le suivant faisait partie des récentes recrues, Caméo172. Un peu intimidé, il parvint tout de même à s’exprimer :
– Hum, bein, je ne sais pas trop… Euh, dernier achat horrible (qui a fini en cadeau d'anniversaire à ma soeur… faut pas lui dire !) : Koxie. Je pensais que c'était de la gentille pop type Rose ou Daphné… grave erreur… fallait pas en croire la pochette. En fait, Koxie, c’est une grue.
Et sinon, je songe à un enregistrement d’Ella Fitzgerald : Ella Abraca Jobim. J'adore Ella et on commence à savoir que j'aime la musique brésilienne (Jobim est LE compositeur de bossa nova). Ella chante comme une casserole sur cet album avec un accompagnement indigne même d'une B.O. de film porno. C'est un massacre... sans avoir besoin de tronçonneuse.
Même en méconnaissance de cause, on en frissonnait d'effroi.

Loner quant à lui, spécialiste du Loner, se fendit d’un rapide : « – Neil Young - "Landing On Water" ? A de rares exceptions, je conserve rarement les « déchets » d'un artiste ». J’ai bien vu dans son regard qu’il nous cachait des horreurs plus terribles, mais il tint bon et, fidèle à son nom, sauva l’honneur.
Denko enchaîna dans le soft en citant Aquarium du groupe Aqua, All Killer No Filler de Sum 41 ou encore Earth Moving de Mike Oldfield. J’acquiesçai à la mention de ce dernier, sa médiocrité m’ayant naguère inspirée une chronique plutôt amusante.
Barz, laconique, visiblement traumatisé, nous jeta une série de noms comme autant de pruneaux d’Agen : Boris, Mylène Farmer, Techno Parade, Thunderdome, Dance Machine... et à chaque mot, il semblait se liquéfier davantage. Il était grand temps qu’il parte se ressourcer à la montagne.

– On remarquera qu’on est pas mal à avoir écouté de la techno naze dans notre jeunesse, fis-je, philosophe. Pour apporter ma contribution, je vous avouerai que j’ai acheté jadis l’album Paradox de 666. Je voulais un truc qui sente le soufre, je me disais que ça faisait trop rebelle et tout. En fait, tu as un pauvre péquin qui répète trois mille fois le même mot (le titre du morceau) sur un beat technoïde à deux balles. « Alarmaaaaa ! tchouk tchouk tchouk bump, hip tchouk ! », « Reblochooooooonnn, tchak tchak tchak bomp, houp tchak ! »… J’aurais plutôt dû essayer le Number of the Beast d’Iron Maiden, en fait.
Sinon, rien à voir, je dois posséder aussi du Goldman (je jette un regard de soutien en direction de Stef), ainsi qu’une compil’ de rock indé djeun’s estampillé Buffy contre les Vampires.

– Pour ma part, continua Yu No-Wat, si je devais en citer cinq, je dirais Windows de Taï-Phong, No Time Between de Overhead, Neapolis de Simple Minds et encore Playground de Manu Katché. Il s’agit davantage de déceptions que d’atrocités, je ne désire pas entrer en compétition avec vous autres. Même si je dois bien posséder du Pink Floyd, aussi… The Final Cut… hum.
Une partie de la salle émit des sifflements outrés, tandis que l’autre partie hocha la tête d’un air entendu. Pink Floyd ou le groupe sur lequel on adore s’écharper.

– Oh bah non, contre-attaqua Saskatchewan, le champion du monde, c’est In Blue des Corrs. Affreux du début à la fin, de la pochette rose à la plus petite portion de plastoc' bon marché. Je ne parle même pas des remixes, sinon je vais pleurer (on lui tapote sur l’épaule pour le réconforter et on lui tend le bol de rondelles de saucisson ; il se redresse et fait mine de réfléchir).
Quoique, s’il faut vraiment sortir les grosses casseroles : je possède aussi « Champions du monde 98 » avec Thierry Roland et Jean-Michel Larqué sur la pochette, un disque sublime qui alterne tubes du moment et extraits des commentaires de la finale de la coupe du monde 98…
Je remue la tête en considérant mon collègue. Je comprends mieux pourquoi depuis, il écoute du Aphex Twin, fume des champignons hallucinogènes et va à la pêche aux ornithorynques : c’est pour oublier… Cette année, on aura au moins évité un « Champions d’Europe 2008 » avec Raymond Domenech et Estelle Denis sur un remix dance de la Marche Nuptiale de Mendelssohn.

– Et toi Oncle Viande ? Tu ne t’es pas encore exprimé !, fis-je remarquer en lui tendant le bol de saucissons. Il remua la tête de dénégation.
– Non merci, je suis végétarien, dit-il en repoussant le bol. Concernant les disques peu glorieux, j’en ai un certain nombre, c’est sûr. Pour commencer, je dirais Pendragon : The window of life. Tout ce que je déteste en musique. C’est un disque qui risquerait de plaire à bon nombre de nos lecteurs, en fait... conclut-il sur une note perfide. Sinon, au débotté, je peux citer : Culture Club : Kissing to be clever : j’adore « Do you really want to hurt me » ainsi que toute la new-wave ringarde de cette époque… Ensuite, Imagination : Just an illusion ; ma passion pour le funk m’a mené très loin (notons d’ailleurs que le clip est énorme).
En fait, ce paragraphe pourrait s’intituler the dark side of Oncle Viande. Il poursuivit :
– Ensuite, j’ai aussi Scream de Tokio Hotel… Je trouve Bill vraiment très mignon (ça, ça reste entre nous, einh). Et pour finir : LE fleuron de ma discothèque, prix de l’eurovision 1980 s’il vous plaît, avec le refrain transposé qui déchire tout : Sophie & Magalie : « Le Papa Pingouin »…

On ne sut pas trop quoi ajouter après cela. On se sentait complètement vidé, comme après cinquante années de séances de psy ou bien une big biture of the dead un dimanche matin à côté de la cuvette des toilettes. C’était un peu comme si on avait remué les tréfonds de nos âmes et qu’on en avait fait ressurgir de gros morceaux sombres et nauséabonds.
On convint tous qu’il ne fallait pas être trop sévère avec les groupes amateurs qui jouent lors de la Fête de la Musique. On y découvre aussi parfois quelques bonnes choses. En tout cas, cette dernière réunion avant les vacances d’été nous avait porté un sacré coup. Quand je pense qu’on adore dire du mal des lecteurs. Faut dire qu’on est de putains de chroniqueurs, on écrit comme des bêtes et on est super mignons et intelligents. Mais si jamais le public en venait à apprendre qu’on a écouté ou acheté de la merde un jour, ça casserait vraiment toute notre crédibilité.

Vous pouvez partir tranquilles en vacances les amis. Vos secrets ne seront pas ébruités.


Mr. Ameforgée.


Post-Scriptum :

Et en cadeau bonus, le lien vers le morceau du Papa Pingouin (non, ne me remerciez pas)



Le 16/09/2021 par LE MERLE MOQUEUR

" C'est un beau roman, c'est une belle histoire"... de vacances.

Le Merle ne déroge pas à la règle. Il est vrai qu'elle remontait vers son brouillard Outre-Rhin et que moi je restais sourd aux chants des cigales ... Depuis elles me tapent sur les nerfs ces cigales qui pourtant dans la Grèce antique étaient un symbole de la musique.


Le 13/08/2008 par KARL VON KARL

Cet edito est savoureux, je possède moi-même un certain nombre d'albums nuls à chier dont un best of de DEMIS ROUSSOS de sombre mémoire. A croire que personne ne semble échapper à ce phénomène terrifiant.
"Rain aannd teeeaarrrrss..."


Le 12/07/2008 par DANTèS

Intéressant... personnellement, je pourrais éventuellement confesser une vieille cassette Schtroumpf Party, acheté vers les 7 ans...

Autrement, tout cela donne sacrement envie de lire les kro des ces disques et de regretter que certains soient absents du site... (pourquoi il ne chroniquerait pas le papa pingouin, notre ami oncleviande ?).



             



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