Difficile de dire à quel point je suis triste. Ni fan, ni détracteur, pour moi il y avait ce sentiment d'éternité devant une carrière longue et une aura qui semblait toujours au-dessus de tout le reste. Mitchell, Dutronc, Sardou, Aznavour, Goldman, Farmer et tant d'autres semblaient toujours en retrait, pour une raison ou pour une autre et qu'il est compliqué de retrouver.
La voix, ce doit être la voix... Celle d'un merdeux crooner qui veut imiter les stars du rock'n'roll, ses favorites, au tout début à la fin des années 50, et qui ensuite gagne petit à petit des notes aiguës, des notes graves, de la hargne, de la puissance. Celle d'un enfant orphelin qui dira plus tard que la musique l'a sauvé de la prison.
Cela doit être aussi cette impression de gigantisme, en amplitude vocale comme en énergie sur scène et en organisation des spectacles, vouloir aller jusqu'au bout des choses et donner le maximum, dans chaque mot prononcé pendant une chanson comme dans une bagnole lancée sur la route, une plongée dans la cocaïne et les rapports avec les femmes, bref, les lieux communs habituels d'une icône du rock.
Du rock oui, quoiqu'on en dise. Rock'n'roll dès la fin des années 50 jusqu'en 1965, Rock soul, Rock psychédélique et Hard-rock à la fin des années 60 jusqu'au milieu des années 70, Folk-rock, Country-rock, Opéra-rock même, et ensuite, de plus en plus variété avec de nombreux éléments rétro, une période creuse durant la première moitié des années 80 pour revenir avec plus de force encore, grâce aux tubes écrits par Michel Berger puis Jean-Jacques Goldman... En bref, une carrière longue comme le bras, la jambe et plus qu'on ne peut en dire, qui aurait encore pu continuer longtemps...
Mais ça reste fou de constater qu'à notre échelle française, l'interprète de "Souvenirs, Souvenirs" (1960) est le même que celui de "Retiens la Nuit" (1961), "Pas Cette Chanson" (1962), "L'Idole des Jeunes" (1963), "Le Pénitencier" (1964), "Quand Revient la Nuit" (1965), "Noir C'est Noir" (1966), "La Petite Fille de l'Hiver" (1967), "Entre Mes Mains" (1968), "Voyage au Pays des Vivants" (1969), "Poème Sur la 7ème" (1970), "Fils de Personne" (1971), "Toi, Tu Voles l'Amour" (1972), "La Musique Que J'Aime" (1973), "Chanson Pour Lily" (1974), "Hey Lovely Lady" (1975), "Joue Pas de Rock'n'Roll Pour Moi" (1976), "J'ai Oublié de Vivre" (1977), "Elle M'oublie" (1978), "Qu'est-ce Que Tu Croyais ?" (1979), "À Partir de Maintenant" (1980), "Pas Facile" (1981), "Sans Profession" (1982), "Entre Violence et Violon" (1983), "Drôle de Métier" (1984), "Aimer Vivre" (1985), "L'Envie" (1986), "Les Vautours" (1989), "La Guitare Fait Mal" (1991), "Rough Town" (1994), "Rester Libre" (1995), "Je Vais Te Secouer" (1996), "Allumer le Feu" (1998), "Vivre Pour le Meilleur" (1999), "Marie" (2002), "Ce Qui Ne Tue Pas Rend Plus Fort" (2004), "Que Restera-t-il" (2007), "Emily" (2008), "La Douceur de Vivre" (2010), "La Femme Aux Cheveux Longs" (2012), "Te Manquer" (2014), "De l'Amour" (2015).
Que le même chanteur a eu des musiciens comme Jean Tosan, Joey Greco, Tommy Brown, Mick Jones, Raymond Donnez, René Morizur, Nanette Workman, Eric Bouad, Norbert Krief, Robin Lemesurier, Geoff Dugmore et des milliers d'autres plus ponctuels, parfois très surprenants quand on connait leur parcours ensuite : Giorgio Moroder, Jimi Hendrix, Jimmy Page... Qu'il a eu un succès peut-être pas toujours égal avec tout cela, mais qu'au final, il n'a jamais cessé d'être là, depuis qu'il a commencé.
Déjà quand j'étais enfant, pour les tubes qui passaient à la télé (aujourd'hui, celle-ci restera éteinte comme d'habitude, de même que la radio), ça m'avait surpris. Puis j'ai grandi, j'entendais beaucoup de gens clamer leur admiration, et d'autres leur dégoût bien senti. "Le roi des beaufs", selon certains qui n'ont jamais écouté un seul album, "un dieu vivant" pour d'autres qui sont présents à tous les concerts, qui ont adopté son look ou son mode de vie parfois, et qui ont dû acheter la plupart de ses 63 ou 65 albums, je ne sais plus exactement, et puis ce matin avec l'émotion, vous savez... Il représentait aussi pour moi la famille de ma mère, la génération d'après-guerre, ceux qui sont nés à la fin des années 40, au début des années 50 et qui ont été adolescents, sont devenus adultes durant les plus belles années pour la musique, même pour la variété, je le pense vraiment.
Et puis il reste une gueule. Comme au cinéma on a eu Jean Rochefort, Jacques Villeret et tant d'autres, en musique on l'a eu lui. Avec sa gueule. Et je l'aimais bien, sa gueule. Entourée de ses musiciens, elle m'a offert un des plus beaux concerts que j'ai pu voir, au printemps 2012 à Montpellier.
Je ne voulais pas être trop long, après tout j'ai déjà beaucoup écrit au sujet d'une telle carrière que je n'ai vraiment découverte que cette année, comme en témoignent mes quelques publications sur Forces Parallèles - Chroniques éclectiques. Je m'en veux simplement un peu, pour la plus récente (hormis les live), la kro-express rédigée en mai dernier pour son dernier album De l'Amour, d'avoir dit concernant le dernier morceau, que ça pourrait être un beau final à une carrière dont on ne sait pas quand elle s'arrêtera.
Eh bien voilà. Aujourd'hui, je suis un peu triste. Un peu plus qu'un peu...
RIP Johnny Hallyday.
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