Pour Johnny HALLYDAY, 1983 et 1984 sont les années Nashville. Après s'y être déjà rendu en 1962 et en 1975, il effectue une session massive avec des pointures locales, certaines ayant déjà participé aux albums antérieurs. Près de quarante morceaux en tout ; une première salve donne naissance au disque Entre Violence et Violon (1983) et plusieurs autres suivent l'année d'après.

Pierre Billon est aux manettes, bien aidé par Eric Bouad pour la réalisation de ce qui reste un disque d'une meilleure facture que tous les autres de Johnny en cette première moitié d'année 80. À 40 ans, l'idole des moyens jeunes s'offre une œuvre plus personnelle au pays de ses rêves, ancrée dans une certaine tradition. Cela participe à sa réussite, même si la qualité n'est pas miraculeuse.

"Jacques Dutronc ne pensait pas encore à Hardy, Long Chris confondait diligence et taxi, Claude Moine dit Schmoll ignorait tout de Eddy, un certain Jean-Philippe attendait son Johnny...", avant d'autres clins d’œil aux idoles américaines, telles sont les paroles de "Mes Seize Ans". Conduite par le piano Fender Rhodes de "Pig" Robbins, soutenue par les chœurs féminins (vraiment beaux) et saupoudrée de pedal-steel, cette ballade country intime sans prétention est touchante. On la doit à monsieur Eddy justement, et son compositeur fétiche Pierre Papadiamandis.

Il y a le son, l'aspect country et blues qui ressort sur de nombreux titres. "Quand un Homme Devient Fou" est un morceau fleuve, dépassant les six minutes, splendide dans un style blues-variété. Mort SHUMAN en a écrit la musique et Johnny les arrangements sur des paroles de Claude Lemesle qui ont ce côté lancinant, hantées par la rythmique lente tandis que la voix et les cordes font monter l'intensité.

Lemesle, ami de la parolière Alice Dona, est déjà fort de nombreux succès pour Joe DASSIN ("La Fleur aux Dents", "L'été Indien") et pour Serge REGGIANI ("Le Barbier de Belleville"), entre autres. Il vient aider à donner un sens à la création du groupe Billon/Bouad/Erick Bamy/Johnny sur un petit nombre de chansons qui, du coup, apparaissent meilleures que tout leur lot de l'année 82.

"Marie Marie" a ce côté nonchalant et sensuel, un shuffle blues torride garni des chœurs masculins de Bamy, Bouad et Billon. Plus grand-guignolesque est le morceau-titre qui en fera tiquer beaucoup par son approche rock 80's mêlée de classique/tzigane avec les solos de violon par Carl Gorodetsky. Contre toute attente, l'idée de paroles récitées avec des intentions appropriées de la part de Johnny puis chantées ensuite, la force dramatique du titre en font un bon élément. Heureusement que Billon n'était pas seul cette fois (on pense à l'"Ave Maria" de 81 et à certains titres de 82) !

Les violons sur du rock dans une tonalité américaine, on les retrouve sur le dernier morceau "Signes Extérieurs de Richesse", un des rares textes engagés de Johnny depuis la période 70-71, dix fois plus réussi que "Monsieur Paul" en 81. Le chanteur pose en star menacée par le fisc à tout moment, en ce qui le concerne ce n'est pas franchement prémonitoire puisque ça lui est déjà arrivé. Cette chanson à la couleur sudiste sera reprise pour le film du même nom de Jacques Monnet, sorti la même année. "Les Scellés Sur Ma Vie", dans la même veine mais garnie de cuivres, reste moins bonne, malgré un joli solo d'harmonica joué par l'excellent Charlie McCoy.

L'amour et ses contradictions reviennent au centre de l'attention pour une poignée de titres sympathiques, tels "Laisse-Moi une Chance", blues avec McCoy de nouveau, et le plaidoyer "Pour Ceux Qui S'aiment". Opposée à cette dernière, "La Fille d'en Face" qui préfère rester seule, est l'unique occasion de voir Bernard LAVILLIERS, le Stéphanois baroudeur, et son claviériste François Bréant écrire pour Johnny. Un des rares bons disques de l'intéressé dans les années 80 et aussi le plus évident de cette session Nashville, avant le capharnaüm de l'année 84.