Était-ce le tonnerre ? Les prémices du cirque ? Ou bien le spectre de la révolution ? Les indications du roulement de timbales introductif sont trop vagues pour en être certain. Mais il doit être de longue durée et efficace dramatiquement. L’adagio liminaire de cette pénultième symphonie est assurément fait de mystère. Une tristesse nous saisit dès lors, la même que dans la symphonie n°98 ou la 4ème de BEETHOVEN. Pourtant, sitôt passé le doute, on retrouve les joies habituelles de HAYDN. Une joie toute folklorique, qui rappelle la campagne hongroise qu’il était sur le point de rejoindre.

N’est-il pas évident qu’il faut ici faire un parallèle avec les évènements qui bousculent alors sa vie ? Qu’a-t-il craint ? Que va-t-il retrouver ? On vient de lui annoncer la fin de son épopée londonienne. Le roulement de timbales est un coup de semonce. La révolution saigne les bourses des nobles en exil à Londres. Il leur faut financer des guerres couteuses contre la France, première puissance économique et démographique européenne en cette période changeante, malgré son instabilité.

Mais le véritable phénomène qui vient de secouer toute l’Europe, alors que HAYDN songe à son avant-dernière symphonie, est la Terreur. Robespierre vient de perdre la tête certes. Les débats sont encore houleux aujourd’hui, quant à sa part de responsabilité. Mais par qui vient-il d’être remplacé ? Jusque-là, la révolution semble être allée de mal en pis. Comme bien des têtes qu’elle coupe, elle est en train de tomber. Vivre en Europe en 1795, c’est être rongé par l’inquiétude. Il y avait de quoi. Bourgeoisie ou noblesse, nombreux sont alors ceux qui ne vivent qu’en symbiose (ou pourrait-on dire que les uns parasitaient les autres ?). Le train de vie de HAYDN, trop âgé et trop diplomate pour vouloir encourager de tels massacres, n’est assuré que par cette noblesse préoccupée.

On a oublié à quel point certaines œuvres pré-BEETHOVEN ont pu nous faire part d’une certaine obscurité. On peut citer la symphonie n°98 ou la future Paukenmesse chez HAYDN. L’heure n’est plus à la frustration personnelle du Sturm und Drang, réponse artistique aux fausses promesses des lumières. Raoul Peck nous le dit bien aujourd’hui dans Exterminez toutes ces brutes : le XVIIIème siècle n’a été qu’obscurité (1). Tout comme aujourd’hui, les Européens étaient inquiets.

Alors le diplomate a agi, une fois n’est pas coutume. De l’inquiétude, certes, il nous en fait une introduction et un Andante aux sources folkloriques. Marc Vignal nous prédit ici SCHUBERT, voire même MAHLER. Mais pour atténuer nos troubles, il faut de la joie, aussi, beaucoup. La symphonie n°103 est une autre de ces londoniennes, forte de sa construction, faite de motifs répétés. Ce n’est 'pas encore' une symphonie du grand BEETHOVEN, bien qu’elle en prenne largement la direction. Elle souffre donc logiquement de la comparaison. Mais faut-il systématiquement chercher à assouvir nos appétits obscurs ? On vous l’a déjà dit un paquet de fois (cf. liste de chroniques sur la gauche à de très rares exceptions près) : Non.

La symphonie n°103 était-elle une vaine tentative de rassurer ? Ou bien HAYDN se serait-il amusé des inquiétudes de son public ? Nous sommes ici face à un troublant clair-obscur qui imprègne l’ensemble des quatre mouvements. Les dosages sont variés de l’un à l’autre, mais chaque sourire est entouré de pénombre. Les élans dramatiques du menuet sont remarquables. HAYDN apporte toujours une réponse lumineuse ou humoristique aux inquiétudes qu’il dessine ainsi. Est-ce un monocycliste faisant le pitre que l'on découvre dans ce magnifique interlude porté par ses instruments à vents ? Les ombres ne disparaissent toutefois jamais totalement.

Jean-François Zygel nous décortiquait cette 103ème dans le premier volume de sa série des clés de l’orchestre en DVD. Il était, pour ce faire, accompagné du chaleureux Ton Koopman. La vulgarisation y est remarquable. Il me faut admettre que c’est un peu grâce à eux que la forme sonate ne m’est plus étrangère aujourd’hui. Toutefois, il m’est de fait impossible d’écouter le dernier mouvement de cette symphonie sans l’entendre y chanter ses nous sommes les cors et autres et nous les petits violons nous jouons aussi. Il n’y a d’ailleurs pas que les violons qui y jouent aussi.

Il est donc question de timbales et de cuivres dans cette symphonie. Sommes-nous au cirque ou à la guerre ? Le clown est-il auguste ? Le soldat est-il en train de danser ? Difficile à dire car HAYDN ne cesse de contredire ses émotions, et de très belle manière. On aurait donc aimé vous conseiller Ton Koopman qui en a, peut-être du fait de sa bonhommie légendaire, un peu atténué l’obscurité. Mais comme la symphonie entière n’est nulle part disponible sur le DVD, nous sommes bien embêtés. On lui préfère la noirceur de la version de Brüggen et ses contrebasses très marquées. Jochum et Mackerras, ce n’est pas mal non plus.

(1) J'ai parfaitement conscience de détourner son propos. Je m'en excuse. Regardez sa série de films, elle est saisissante. Mais une chronique de HAYDN est-elle réellement propice à parler de l'accélération des génocides perpétrés par les Occidentaux ? Peut-être que si, après tout.