Si vous croyez qu’il n’y en a que 12, cherchez bien, il y en a probablement une dernière de cachée. Dans les constellations situées sur l’écliptique, celles des signes du zodiaque, le serpentaire (ou Ophiucus) (1) joue les intrus entre le scorpion et le sagittaire. Pour l’astrologie chinoise, demandez-vous ce qui est arrivé au chat. De Mercédonius, 13ème mois intercalaire de l’antiquité, il nous reste aujourd’hui le 29 Février (2). Le Panthéon des 12 Dieux grecs ? Un véritable jeu de chaises musicales, celui-là ! Pour les apôtres, si j'ajoute Jésus, je retire Judas, et je retiens Marie-Madeleine, ça ne fait jamais tout à fait 12 non plus. Les chevaliers de la table ronde, on ne les compte même plus. Même John McTiernan a semble-t-il fini par se dépêtrer de la malédiction de son 13ème Guerrier. Aura-t-on le droit à un treizième film après Tau Ceti Four, ou celui-ci existerait-il déjà ?

Parlons enfin de musique, où chaque octave est composée de 12 demi-tons. Saviez-vous que ces 12 subdivisions ne sont en réalité qu’une approximation ? L’harmonie en effet se base sur des résonances entre fréquences. A force de diviser celles-ci, on a fini par se rendre compte que le nombre 12 permettait de presque faire le tour complet d’une octave (accord parfait entre une fréquence et son double). Presque seulement ! Le XVIIIème siècle a été l’occasion de longs débats entre tempérament égal (division exacte de l’octave en 12 demi-tons) et inégal (accordage adapté à une tonalité, strictement basé sur la résonance entre fréquences). BACH était un ardent militant du tempérament inégal, d’où ses deux livrets du Clavier bien tempéré. Voilà pourquoi certains persisteront à vous dire que le bémol des notes n’est pas tout à fait le dièse d'autres. Tout dépend en effet du tempérament considéré. Dans une octave, on trouve donc un peu plus que 12 demi-tons.

Le tempérament égal a finalement été adopté par la majorité. Il possède l’immense vertu de mettre tous les accordages au… diapason (façon de parler). Mieux, il permettait des modulations à l’infini. C’est grâce à lui par exemple que Nobuo UEMATSU a pu nous offrir pas moins de 11 modulations consécutives sur son "JENOVA" (Ne sous-estimez pas la musique de jeux-vidéo !). Modulations que HAYDN s'employa à utiliser dans ses symphonies.

Chez HAYDN, ce qui existe en 12 exemplaires en plus des demi-tons, ce sont ses symphonies londoniennes (n°93 à 104). Mais il en existe en quelque sorte une 13ème. Il s’agit de sa seule et unique symphonie dite concertante. Mandyczevski avait décidé de l’exclure de la numérotation (comme l’avaient été les 2 de MOZART), Hoboken lui a tout de même attribué le numéro 105 dans sa classification. Il s’agit d’un genre assez rare. Je dois admettre vous avoir déjà mentionné les 3 seules que je connaisse. Déjà deux de plus que de concertone...

Sa création serait liée à une rivalité entre HAYDN et son élève PLEYEL. La concurrence entre les hommes était très aimable car du seul point de vue du public, à en croire une lettre de HAYDN. Si l’élève n’a pas dépassé le maître en notoriété pour la postérité, il l’aurait en revanche surpassé en quantité d'oeuvres présentées au public. A son arrivée à Londres, PLEYEL aurait en effet joué une nouvelle œuvre chaque soir de concert. Certaines avaient bien sûr été composées avant son arrivée dans la capitale. Mais cela positionna HAYDN sous le feu de quelques critiques. Critiques qu’il s’employa à contrer avec l'écriture de plusieurs partitions en toute hâte, y compris celle de cette symphonie concertante.

Mais qu’est-ce qu’une symphonie concertante ? Vous savez que faire jouer ensemble tout un orchestre donne lieu à une symphonie. Assurer qu’un ou plusieurs instruments en soient la vedette aboutit à un concerto. Le ou les instruments concertants peuvent parfois s'y taire et laisser l’orchestre s’exprimer à la manière d’une symphonie, certes. Mais pour être qualifié de concerto, l’échange entre un ou des instruments parfaitement identifiés et l'orchestre se doit d’être maintenu dans la durée. Quelques symphonies rebelles se sont donc également permises de mettre en valeur un ou plusieurs instruments, au moins le temps d’un mouvement. C’était régulièrement le cas du violon chez VANHAL. HAYDN a été coutumier du fait dans ses jeunes années (3), mais également dans le dernier mouvement de sa symphonie n°98, dit 'concertant'. Plusieurs instruments, y compris un piano dont HAYDN jouait lui-même (autre conséquence de cette rivalité avec son élève) s'y trouvaient à tour de rôle au premier plan, à la manière de multiples chanteurs interagissant dans un air d'opéra. Avec un tel défilé, la symphonie concertante n'identifie jamais tout à fait sa vedette. Elle reste ainsi tout du long sur le fil entre symphonie et concerto. Il s'agit donc à la fois de l'un et de l'autre, sans ne jamais être aucun des deux.

Il n’est donc pas utile de vous expliquer plus longuement l’originalité dont HAYDN fait preuve avec cette symphonie concertante. Nul besoin de surnom quand le genre à lui seul permet de sortir du lot. Précisons simplement qu'elle hérite sa structure en 3 mouvements du concerto. Elle a été oubliée au XIXème siècle. A en juger par les divers coffrets l'ayant omise, le XXème ne lui a guère été plus clément. J’ai donc dû acquérir un disque spécifique pour pouvoir l'écouter dans de bonnes conditions. J'avais jeté mon dévolu sur un live de Sándor Végh, seule version que je possède encore aujourd'hui et qu'il me sera difficile de commenter, faute d'éléments de comparaison. Précisons cependant que cet interprète (très romantique dans l’esprit) parvient à faire ressortir quelques qualités inédites des symphonies 39 et 60 par ailleurs, également présentes sur le disque.

On peut cependant adresser quelques reproches à cette symphonie concertante. Si le genre a été dénigré puis oublié, c’est qu’il y avait peut-être une raison. On se doute que cette pression des amateurs de PLEYEL n’a pas dû aider dans l’affaire. Faute de concerto, la ritournelle qui sublime généralement les meilleurs d'entre eux dans leur dernier mouvement est absente. Faute de symphonie, la rigueur du travail thématique habituel de HAYDN semble s’égarer dans cette façon chantante de faire défiler des instruments. On retrouve tout de même quelques échos aux superbes concertos pour violoncelles, aux symphonies de la journée et à la façon de faire de l’opéra. Tout est ici très plaisant à l’oreille, très chantant, nous avons là un bouquet d’instruments très fleuri, dans la continuité qualitative du dernier mouvement de la symphonie n°98 qui lui a précédé. Celle que l'on suppose dédiée à MOZART.

HAYDN avait-il d’ailleurs connaissance des deux symphonies concertantes de son cadet pour s'en inspirer ? Faut-il trouver là un second hommage consécutif ? Rien ne rappelle directement MOZART ici, mais tous les doutes sont permis (cf. chronique de la symphonie n°80). Faute d’œuvres similaires pour réellement pouvoir comparer, nous allons de nouveau nous contenter de suppositions. On vous conseille donc cette treizième londonienne, ne serait-ce que pour les particularités de son genre sous-représenté. D’autres 13 musicaux n’ont pas eu mieux que ce nombre à mettre en valeur pour se faire remarquer. Pourtant, il y avait matière avec un tel sujet ! Il aurait mieux valu pour eux faire preuve de discretion. Faire le (méga) mort, peut-être ? (4)


(1) Dans les Chevaliers du Zodiaque, Shina aurait donc logiquement dû être le 13ème chevalier d’or ! Elle intervient d’ailleurs bien durant le chapitre du sanctuaire, entre deux maisons. Les amateurs éclairés de la série savent toutefois qu’il existe bien un 13ème chevalier d’or… Mais chut chut ! (et je parle de la série originale bien entendu, pour le reste je n’ai pas lu ou regardé)
(2) Est-ce une coïncidence si j’écris cette chronique le 28 Février d’une année non bissextile ?
(3) Symphonie n°22 le Philosophe avec ses cors anglais, 41 et 61 avec leurs flutes, 72 et 73 avec les cors français, etc. Les plus proches exemples de symphonies se rapprochant d’une concertante étant les trois symphonies de la journée (6-8).
(4) Ce n’est très certainement pas à l’excellente symphonie n°1 de MENDELSSOHN, treizième symphonie de sa main en réalité, que l’on pense ici. Je vous renvoie à sa chronique.