"deLirium", titre de l’album qui nous intéresse aujourd’hui, fait référence à la « lire organizzate », plus connue en français sous le nom de vielle organisée. Il s’agit d’un instrument de musique rare et hybride, à la fois à vent et à cordes. Mais pour comprendre la vielle organisée, il faut déjà connaître la vielle à roue, plus courante.

Utilisée en abondance dans notre folklore national (1), la vielle à roue fait partie de la famille des instruments à cordes frottées, au même titre que les différents violons, altos et violoncelles. La vielle a toutefois un frottement de cordes particulier, effectué non grâce à un archet, mais à une roue. Celle-ci tourne au moyen d’une manivelle et le vielleux joue sa mélodie de l’autre main sur une corde principale à l’aide d’un clavier. Enfin, à la corde mélodique s’ajoutent des bourdons (au même titre que sur les différents types de cornemuses), c'est-à-dire dans ce cas des cordes supplémentaires jouées en continu. La principale particularité de la vielle est son aspect rythmique, la manivelle permettant grâce à des à-coups dans le jeu, de faire légèrement grésiller les cordes selon un rythme particulier.

Le problème inhérent à cet instrument est qu’il est alors impossible de jouer sur plusieurs voix. C’est là que la vielle organisée montre toute sa beauté. Plus imposant, cet instrument utilise le mouvement de manivelle également pour produire un souffle (qui peut être maintenu quelques secondes) utilisé pour alimenter les notes d’un orgue. Le vielleux peut ainsi jouer de la vielle, de l’orgue, et même des deux à la fois ce qui permet d’ajouter aux vertus rythmiques de la vielle, des capacités mélodiques supplémentaires. L’instrument réclame cependant une patience dans son apprentissage (puisque hybride donc plus complexe). Le nombre faible de compositions disponibles n’est pas pour arranger les choses.

deLirium nous présente cinq œuvres dont deux seulement sont dédiées à un couple de vielles organisées. Bien que d’instrumentations différentes, la plupart de ces œuvres s’inscrivent dans la lignée des pièces de chambre du compositeur. Elles évoquent toutefois plus les quatuors à cordes par leur respect de la forme sonate et leur accessibilité, que les concertos pour violoncelles, plus particuliers, qui avaient déjà un pied dans le siècle suivant.

Les deux œuvres ouvrant et concluant l’enregistrement permettent donc de profiter pleinement des instruments hybrides. Celles-ci partagent cependant la vedette avec deux clarinettes pour la pièce de conclusion. L’alliance est pertinente et voluptueuse. La douceur des souffles conjugués des deux instruments, contraste de manière judicieuse au grésillement de la vielle et au pincement des cors également présents mais plus discrets. Ce contraste est particulièrement prenant sur les parties rapides. Le mouvement central, un adagio, est quant à lui moins attrayant. L’œuvre d’ouverture, de son côté, propulse les vielles en avant dans un concerto tout à faite charmant, justifiant à lui seul l’achat de ce répertoire, tant la démonstration met en valeur les spécificités de l’instrument.

Le livret accompagnant le CD précise que Joseph HAYDN a pour la plupart de ses œuvres composées pour vielle organisée, réorchestré celles-ci de manière à pouvoir les rejouer en concert (l’instrument étant rare et difficile à transporter). C’est ainsi qu’étrangement, ce recueil nous délivre l’une de ces réorchestrations, la flûte et le hautbois piquant la vedette à notre double héroïne du jour. Le Notturno en sol Hob II : 27 est pourtant la pièce maîtresse de ce recueil, rappelant à bien des égards les meilleurs quatuors à corde du compositeur. Pourquoi donc ne pas avoir choisi de le jouer dans sa version d’origine, à la vielle organisée (les partitions d’origine seraient-elles perdues ?)

Les deux dernières œuvres, des octets (2) ayant pour particularité la présence d’un Baryton (3), ne déméritent pas. J’éviterai cependant quelques banalités afin d’écourter cette chronique, les deux œuvres bien qu’appréciables, n’ont pas l’éclat particulier des trois précitées (l’excellent adagio du second octet est cependant à mentionner). En outre, en l’absence de vielle organisée, elles font perdre au sujet principal du recueil toute sa force.

Recueil agréable, homogène, "deLirium" est à conseiller avant tout aux amateurs du compositeur Autrichien, ainsi qu’aux curieux qui souhaiteraient découvrir un instrument aux sonorités originales. On trouve ici bien plus de matière incandescente que dans les quatuors les moins pertinents du compositeur.


(1) Et pour cela, je ne saurais que trop vous conseiller d’écouter MALICORNE.
(2) Rien à voir avec l’unité de mesure, il s’agit ici d’œuvres pour 8 instruments.
(3) Instrument sur lequel il y a tant à dire notamment concernant Joseph HAYDN et ses relations avec son mécène, le Prince d’Estherazy, mais ce sera pour une autre chronique, je l’espère.