L'un des derniers projets créatifs de Duke ELLINGTON, dix ans avant sa mort (et en collaboration avec le fidèle Billy Strayhorn), fut d'adapter les chansons du film/comédie musicale Mary POPPINS, écrites et composées par les frères Richard et Robert Sherman, le temps d'un album paru la même année, en 1964. C'est dire si l'empreinte musicale a agi fortement sur le Maître du swing !

Les chansons DISNEY anciennes empruntent beaucoup au jazz et on peut donc dire qu'avec de tels adaptations, la boucle est bouclée avec une promesse de haut niveau musical. Laurent MIGNARD, chef-arrangeur et trompettiste qui a déjà rendu hommage au Grand Duc en 2015, en a bien conscience et, réemployant nombre de musiciens qui composaient son orchestre d'alors, monte un spectacle dans le moment où sort Le Retour de Mary Poppins, en 2018.

Contrairement aux efforts de Duke ELLINGTON, la musique n'est pas simplement instrumentale cette fois-ci. La chanteuse Sophie Kaufmann (comédienne/voix-off, également membre du groupe LES DÉZINGUÉS DU VOCAL) endosse les rôles de Mary mais aussi de Jane Banks, même parfois de Bert, Mr. Banks... Tout en étant rejointe une fois ou deux par le chef MIGNARD ("Jolie promenade"). Par rapport au disque de Master ELLINGTON qui contenait 12 morceaux, le projet perd un titre ("Sister Suffragette") et il est amusant de constater que l'un comme l'autre ont fait l'impasse sur la chanson des banquiers.

Ce que les chansons perdent en caractère tubesque, elles le gagnent en groove swing, en chaleur et "smooth", même si certaines transformations surprennent toujours comme "Beau cerf-volant", reconnaissable grâce à la mélodie du refrain. Au début de l'album, sur les deux premiers titres (ceux de la famille Banks), Sophie Kaufmann fait beaucoup de narration et l'on craint un moment que l'ensemble soit dans le même style. La chanson de l'oncle Albert, sans chant mais avec déluge de rire, reste l'effort le moins bon (malgré une partition d'orchestre convaincante), comme pour l'original de 1964.

Cela n'enlève rien au fait qu'une personne passionnée par Mary Poppins, même si elle demeure inconditionnelle des versions les plus connues, devrait écouter l'adaptation jazz. Sophie Kaufmann possède un timbre agréable, clair et enfantin qui convient à la partition. Un beau contraste avec le timbre parfois rugueux des saxophones et des trompettes bouchées. Elle n'est pas la seule présence féminine dans cet orchestre, Julie Saury (batterie) et Aurélie Tropez (clarinette/saxophone alto), s'illustrent chacune à leur manière, l'une en soliste sur "La nounou idéale", l'autre avec une belle dynamique (balais ou baguettes traditionnelles), notamment sur "Chem Cheminée".

Le piano de Philippe Milanta domine aussi sur cette dernière, tandis que la contrebasse de Bruno Rousselet participe fortement à l'ambiance feutrée de "Ne fermez pas vos beaux yeux". Une rythmique en place, qui soutient bien le chant et laisse les vents s'envoler à loisir en groupe ou en solistes sous la direction de MIGNARD, pour un jazz majoritairement smooth, détendu. Même le ton sucré d'un "Nourrir les p'tits oiseaux" n'a rien d'excessif, grâce à de tels arrangements.

La musique s'emballe à de rares moments, "Supercalifragilisticexpialidocious" bien sûr, avec un solo de sax ténor long et joliment construit en crescendo, ou encore "Gardons le rythme". Les passes entre chant et montées de cuivres y sont amenées avec brio sur un rythme à la couleur latino cubaine, comme ELLINGTON aimait beaucoup en user. En bref, pour une durée de 35 minutes environ (adaptée pour un-e- néophyte), cela s'écoute parfaitement.