AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Lady and the Tramp/La Belle et le Clochard s'inscrit dans les films DISNEY "mignons", déchargés en action pour la plus grande partie de leur ossature. Ce nouveau film de 1955 pose également un décor plus domestique et moins féerique que Cendrillon, il met en scène moins des humains que des animaux. À l'époque, DISNEY vient d'ouvrir son premier parc d'attractions, a fourni le chef-d'oeuvre 20.000 Lieues Sous les Mers, tourné la série Davy Crockett...

Cette adaptation très large de Happy Dan: the Whistling Dog, une nouvelle de Ward Greene (reponsable de la firme King Features Syndicate, grands diffuseurs de cartoons, comics...) écrite en 1937 et vite achetée par Walt, est la première histoire originale des studios. Joe Grant et Dick Huemer écrivent un scénario sur une romance entre chiens, comme d'habitude il faut attendre des années pour que le projet aboutisse, et les animateurs reprennent des idées de films précédents. La Belle et le Clochard est tourné deux fois, une "normale" et une en Cinemascope, c'est le premier film d'animation à user du même procédé que 20.000 Lieues Sous les Mers mais pas encore adapté à toutes les salles de cinéma du monde entier. C'est aussi un beau succès, pas massif mais pas non plus déficitaire pour DISNEY, et l'un des plus réussis, y compris pour les principaux intéressés.

Notre vieil ami Oliver Wallace et son compère Ed Plumb (avec l'aide de Sidney Fine) ont cette fois pour mission d'enjoliver et de décliner en variations les titres composés par deux personnes seulement, un exploit d'économie créative par rapport à tous les DISNEY précédents. Sonny Burke, ancien chef de big-bands swing compose la musique sur des paroles de Peggy Lee, la Reine selon le grand Duke ELLINGTON himself. Autant dire que la Belle et le Clochard, c'est la classe, comme un beau chant de Noël à l'anglo-saxonne (avec la chorale de John Rarig). "Peace on Earth"/"La Paix Sur Terre" est particulièrement magique, en introduction du dessin animé.

Wallace mise sur ce type d'éléments folk (même religieux) avec parcimonie, les chansons demeurent courtes mais remarquablement bien écrites, tout comme "Bella Notte". C'est la chanson du générique et surtout celle du restaurant italien de Tony, une scène romantique vraiment jolie entre Lady et le Clochard sur fond de mandoline, guitare classique, accordéon et voix de ténor italien, façon sérénade et dolce vita. Superbe ! Les chants masculins, en outre, sont bien choisis, y compris pour "Peace on Earth".

Alors que l'action se situe en ville, même si c'est un quartier résidentiel, Plumb et Fine développent également un côté champêtre dans la courte chanson de Jock, "Bonybank in the Backyard"/"Trois Pas Par-ci, Deux Par-là", et dans le thème instrumental de Lady lorsqu'elle grandit ou pendant les courses-poursuites gentilles, avec une empreinte follette et innocente. Tout cela est bien charmant, et comme d'habitude, l'imagination développée par les studios nous prend avec des éléments miniatures mais qui marquent durablement, comme ce negro-spiritual à base de vocalises canins, interprété en choeur par les chiens enfermés à la fourrière en en vrai, les Mellomen.

La chanson de Peg, "He's a Tramp"/"Il Se Traîne", est d'ailleurs taillée sur mesure pour Peggy Lee, dite la Reine ; c'est le seul moment purement jazzy/music hall de la tradition Wallace, celle qu'on a connue depuis Dumbo (1941) et qui s'arrête avec ce film. Le shuffle, la voix enfumée de la diva et la participation des autres chiens, toute une ambiance. Lee se charge aussi de faire les voix des deux siamois pendant leur chanson orientale, avec déluge de percussions. Excellent jeu de mots en français notamment : "...car ce qui est à toi est aussi à moi/aux siamois".

L'un des plus beaux moments de cette BO, moins bien garnie en thèmes instrumentaux cette fois-ci (l'inverse de Peter Pan donc), c'est la chanson du bébé. La progression structurelle et mélodique y est à la fois étonnante et splendide, entre les questionnements de Lady ("What Is a Baby?"/"Qu'est-ce Qu'un Bébé ?", dont le vibraphone trouble rappelle un peu certains moments d'Alice au Pays des Merveilles) et la berceuse, pleine de grâce. Peggy Lee révèle, en trois temps, diverses facettes de son talent dans une musique de commande. Les deux héros principaux ne chantent pas, mis à part Lady sur le thème susmentionné, mais c'est tout un bel environnement musical qui a été développé autour, au sein d'une belle histoire, simple avec son lot de péripéties.

On aime vraiment ce film, à caractère plus personnel – l'idée de Jim qui offre Lady à Darling au début vient de Walt lui-même, trente ans plus tôt, il avait oublié l'anniversaire de sa compagne et trouvé un chiot en catastrophe ! - qui marque la fin d'une double époque sur le plan sonore entre le départ d'Oliver Wallace et le décès d'Ed Plumb, trois ans plus tard. Du coup, un dernier mot sur la scène du rat que le Clochard affronte à la fin, court moment "horrifique" que DISNEY maîtrise comme d'habitude, et en partie ici grâce à l'orchestrateur regretté.