Une logique imparable s'installe parfois dans la vie d'un homme né au XXème siècle, à la fin notamment : quand tu es petit garçon, tu regardes les films DISNEY ; quand tu grandis, tu découvres le rock ; et puis, lorsque tu es marié et a des enfants, tu ne jures plus que par le jazz. Le jazz, c'est de la musique de papa, un peu aisé, souvent blasé, ou alors qui sait qu'il a toujours du succès auprès des femmes. Il use et re-use du vieux tourne-disque, du lecteur CD ou alors de la radio FIP. Aussi, Jazz Loves Disney (créé par la franchise WE LOVE DISNEY) a été fait pour lui, plus que pour le bambin, mais, en rappelant celui qu'il a été, ce disque réussit un coup double. Il a aussi pour vocation d'amener davantage le grand public vers cette musique.

Le jazz symbolise la liberté musicale. Pourtant, lorsque l'on touche à des standards de films DISNEY en chanson, il devient facile de penser qu'on ne peut pas faire n'importe quoi. Il y a quelque chose un rien sacrée. Déjà, WE LOVE DISNEY, en misant plutôt sur la variété et les artistes du cru en France, s'étaient un peu planté, mais pas comme le sapin de Noël (les deux premiers disques, en 2013 et 14, étaient parus à la "bonne" période). Avec Jazz Loves Disney, ils ont totalement rattrapé leur coup, pour le premier volume du moins.

Pas de TAL, ni de Michaël Youn, ici on appelle des stars de la musique anglo-américaine, qui touchent de près ou de loin au jazz : Gregory PORTER, Jamie CULLUM, Stacey KENT, Melody GARDOT, Nikki YANOFSKY... Et tous fournissent un bel effort ; mais tous, cela comprend aussi les arrangeurs, l'orchestre dans sa globalité, les musiciens solistes.

Si Jamie CULLUM élève bien la voix mais peine légèrement à porter l'orchestre qui se gère tout seul sur "Everybody Wants to Be a Cat" (les Aristochats), Melody GARDOT, elle, met tout le monde directement dans sa poche, auditeurs compris, dès les premières mesures de "He's a Tramp" (La Belle et le Clochard). Et puis cette contrebasse coquine, ce long solo de sax ténor... Le fait d'être seule lui convient mieux qu'un duo avec Raphael GUALAZZI sur "The Bare Necessities" (Le Livre de la Jungle), sympathique. L'intéressé et son vibrato bien dosé s'en sortent eux-mêmes mieux sur un autre extrait intemporel du même film, "I Wanna Be Like You", du jazz qui déménage !

Au rang de l'exotisme, il y a une jolie version de "Bibbidi-Bobbidi-Boo", chanson de la marraine de Cendrillon par Stacey KENT où l'orchestre prend une tournure bossa, toujours avec solo de sax qui est un fil conducteur sur plusieurs morceaux (celui qu'il fait sur "When You Wish Upon a Star", aux côtés de la voix de velours de Gregory PORTER, est particulièrement beau). En outre, Stacey KENT comme, plus loin, Nikki YANOSFKY sur "Un jour mon prince viendra", ont réduit leur accent au maximum et chantent merveilleusement bien en français.

Les arrangements de cordes sont magiques sur ces titres, aussi sur "Once Upon a Dream" (La Belle au Bois Dormant) par LAÏKA, fragilité saisissante et final en apesanteur. On note aussi les couleurs orientales de "Why Don't You Do Right?" (chanson de Jessica Rabbitt, femme de Roger), même si celle-ci perd de son piquant dans l'interprétation traînante de China MOSES. "You've Got a Friend in Me" (Toy Story) laisse sa détente New-Orleans et prend un caractère endimanché, plutôt pas mal avec solo de trompette bouchée, tandis que la version instrumentale de "A Dream is a Wish Your Heart Makes" (Cendrillon) rejoint Stacey KENT pour le choix latino, très seyant. Et ce rimshot à la batterie, cette contrebasse !

Au milieu de ces ambassadeurs pour le moins distingués du smooth enivrant, PORTER, GARDOT, une petite française se retrouve bien seule mais pour quel moment ! Anne SILA, vraie Valentinoise de Valence, est absolument adorable pour un "Let It Go" difficile à éviter, étant donné le succès de la Reine des Neiges trois ans plus tôt. C'est l'un des rares extraits post-mort de Walt Disney offerts ici, mais avec l'énergie et la sensualité de SILA, avec ses propres choeurs, le plaisir est total. Grâce aussi à la dualité des cordes et des saxophones, de la rythmique pop-soul, un ensemble qui veut se tenir au niveau de l'interprétation vocale, on le sent ! Non, vraiment, fan de jazz ou non, à écouter.